L'argent, le travail, et moi

 

Proche de la retraite, j'ai voulu écrire ma relation au travail, à l'argent et son évolution dans le temps.


Le travail est un miroir des étapes importantes et ce qui à marqué ma vie .


La pression familiale, si tu bosses pas t'es un fainéant, et le salaire qui remplaçait l'argent de poche que je n'avais pas ont été des motivations assez fortes.

Plus je retourne en arrière et plus je remonte tôt dans ce besoin de m'exprimer par le travail.


Commençons donc à 10 ans et là pas de feuille de paye et de points de retraite, c'est tout du black, même à l'église ou je servais la messe.

Enfant de chœur c'est pas un métier, quoique j'aurai pu faire carrière, ça n'aurait pas déplu à ma mère .

A l'époque il y avait encore du monde à l'église donc du travail pour des petites mains : messes , baptêmes, mariages et surtout enterrements.


Ah…. ! les enterrements d'autrefois ou l'on montait au cimetière à pied en portant la croix derrière Monsieur le curé qui lui même suivait le corbillard.

Et les sous… oui les sous, c’était là les plus gros revenus de ma modeste carrière ecclésiastique.

5 francs, une pièce de 5 francs, je la revois encore ; je ne sais plus comment c'était distribué, si c'était le prêtre qui partageait la recette et combien il restait pour lui dans la quête, mais moi avec ma pièce de 5 francs, j'étais aux anges même si j'avais peu prié.

J'ai même le souvenir d'une compétition assez tendue entre enfants de chœur pour participer aux cérémonies funéraires.

 Argent, quand tu nous tiens, déjà !


C'est à la même époque où j'ai commencé à travailler au moulin.

Meunier c'est aussi respectable que prêtre, c'est juste un peu plus physique avec la poussière à digérer avec le vin.

D'ailleurs j'étais souvent commis d'office pour aller ravitailler ces messieurs qui torchaient pas mal.

- Aller gamin, tu nous prends 3 litres de blanc et 3 litres de rouge.

Est ce que cela suffisait à étancher la soif sans fin de mes compagnons ? L'épicerie n'était pas loin et comme les voyages forment la jeunesse…


Le patron qui étais un ami de mes parents m’appréciait beaucoup , j'étais un bosseur, contrairement à ses fils, et j'ai découvert en sa présence l'envie d'entreprendre.

Il m'emmenait parfois avec lui pour livrer des clients et me confiait ses petits secrets de négociant en farine et aliments pour animaux. Il avait repris l'affaire de son père et désespérait du désintérêt de ses enfants pour sa profession.


Je travaillais au moulin en plus de mon activité d'écolier à temps plein qui ne m’intéressait pas du tout et qui ne me rapportait rien.

 Je me demande comment je ne me suis pas cassé le dos, à 10 ans porter des sacs plus lourds que moi !


De petits boulots en petits boulots, j'épargnais pour m'acheter un vélo, un Peugeot demi course.

Pourquoi demi course, c’était comme un vélo de course, le rêve de tout gosse, mais en plus il avait des gardes boues et un porte bagage et ça c'était pratique, et moi j'étais déjà quelqu'un de pratique.


Meunier, assembleur de bouchons à domicile, fromager, vendangeur, maraîcher, je ratissais (sans jeux de mots) large pour subvenir à mon besoin d'autonomie financière et après le vélo, j'ai pu m'offrir, évolution inévitable, la mob de mes rêves.


Toujours aussi passionné par les études, je ratais mon BEPC à la fin de ma troisième et l'orientation pour la suite était assez incertaine, étant donné que mes désirs ne répondait pas à l'offre.

J'avais déjà une petite tendance écolo et j'étais attiré par la pisciculture et les Eaux et Forêts mais une école étais trop loin et je n'avais pas encore l'esprit aventureux ; et la seconde, vue mon niveau et l’intérêt que je portais aux études, j'ai raté lamentablement l'examen d'entrée !

J'avais donc presque 16 ans( vous verrez l'importance du presque plus loin)je me suis rabattu sur un BEP électromécanique au lycée Carriat à la capitale (de l'Ain).

Désespéré j'étais, ça ne rapportais rien, pas un sou.

Comment j'allais mettre de l'essence dans la mob ?

Et puis, j'avais des ambitions. Acheter le modèle au dessus qui roulait plus vite et surtout faisait plus de bruit ; au cas ou on ne remarque pas ma nouvelle monture.


Quelle stupeur de ma mère lorsqu'elle me voit rentrer avec ma belle caisse à outils achetée par mes parents pour la formation.

C’était donc le 17 Octobre jour de mes 16 ans.

- Tu ne me souhaite pas mon anniversaire maman?

- Qu'est ce que tu fais là, t'es pas malade au moins?

- L'école est obligatoire jusqu’à…. aujourd'hui….alors voila….je veux gagner des soouus.

J'avais tenu un bon mois à m'instruire de la science de l'électromécanique et j'avais décidé que décidément ça rapportais que dalle.

Je vous passe l'ambiance à la maison, le père suivant les opinions de la mère.


J'étais prêt à affronter le monde du travail, le vrai, gagner du pognon pour construire mon indépendance financière, désolé maman après avoir échappé au séminaire, je sors encore des rails.

Avec le recul, j'ai l'impression d'avoir vécu ma vie comme un éternel déraillement, dès lors que ce n'étais pas moi l'aiguilleur.

Pas plus de deux semaines pour trouver un job, et quel job ?

Peintre sur des jouets en plastique, payé au rendement, 20 centimes le cygne, un peu plus pour le lapin qui lui avait plus de couleurs, le début de la fortune !

Mob dernier cri, puis moto, encore plus grosse et encore plus de bruit, m’en fin on vas bien se rendre compte que j'existe.


Donc après avoir largement participé à la pollution sonore et atmosphérique de notre belle planète, contribué au développement de l'économie nippone, j'intégrais le 15éme Régiment d'Artillerie.

J'avais atteint mes 19 ans et la patrie avais besoin de mes services, mon patron était désolé de mon départ, comptait sur moi à mon retour, si il me relâchait un jour!

J'ai rien dis pour pas le fâcher, mais j'avais la nette impression d'avoir fini ma carrière d'artiste- peintre et l'envie de sortir de ma vie les pingouin-culbutos et autres mammifères plastifiés.


Je ne vous ai pas parlé des conditions de travail, payé au rendement, c'est dès que tu t'arrêtes même pour fumer ta clope t'es plus payé, la pause c'est pour toi, et le mieux c'est quand il y as la panne t'es pas payé, tu bosses pas, t'es pas payé, si la peinture déconne qu'elle ne tient pas, t'es pas payé, tu refais, t'es pas payé.


Bon là, c'est juste l'aspect argent, mais il y avait aussi la peinture à respirer toute la journée, les ventilateurs n'étant pas spécialement performants, et la radio à écouter, je les connais tous les tubes des années 70.

Adieu les canards, je m'en vais chez les zouaves !

Réduction drastique des dépenses, le salaire est divisé par trois, je rentre en récession, la décroissance j'ai expérimenté.

Comment j'alimente mes machines à faire du bruit et semer la terreur dans toute la région ?


Surtout que les automobiles étaient venues complétées ma collection d'engins routiers. Je dis au pluriel en parlant des autos car leurs espérances de vie étaient assez courtes après les virées du samedi soir.

Donc dilemme, des bêtes à nourrir et moins de blé, je me suis donc séparé à regret d'une partie du cheptel.

J'avais des trains qui m'amenaient ou je voulais. J'ai découvert la joie des transports en commun ne sachant pas encore que je prenais un des modes de transport les plus écologique au monde.

Si j'avais eu un brin de patriotisme, j'aurai pu être satisfait de mon sort. J'allais aider mon pays à balancer des missiles Pluton sur d'éventuelles belligérants, le chemin de fer m'amenant sur mon lieu de travail, que du bonheur !

La grosse différence avec le job précédent c'est le rendement, la solde, elle tombe tous les mois, même quand tu glandes toute la journée ,et tu glandes toute la journée, tous les jours.


Je vous fais l'impasse sur mon instruction militaire et mes décorations, j'ai encore déraillé lors du défilé et été exclus de celui ci, mes jambes refusant obstinément de marcher au pas.

Maman, pourquoi tu m'as pas fais comme les autres?

J'avais sûrement une hémisphère du cerveau anti militariste et l'autre qui essayait de suivre la cadence.

Je suis arrivé tant bien que mal à la quille, rendu mon paquetage et rentré chez moi. J'avais 20 ans, pas fais la guerre, juste semblant et perdu tout mon capital à deux et quatre roues.


Maman je reviens!

La question, mon fils, que fais tu maintenant ? Tu ne veux pas retourner peinturlurer les manchots, tu veux pas continuer dans l'armée qui te proposais un bel avenir, malgré ton inaptitude à la revue.

Je veux faire auto école, moniteur quoi. J'ai déjà plié pas mal de voiture, je connais les pièges de la route, l'alcool au volant, les têtes à queue au frein à main et l'armée m'as offert le permis poids lourds. Tout pour réussir!

 Maman met la main au porte feuille pour aider son fiston à s'offrir la formation de ses rêves, déception, il rate l'examen, retour à la case départ.

Ah si t'avais bossé à l'école, t'aurais du boulot là…!


L'industrie chimique


Me voila partit à faire le tour des offres d'emploi, mais j'aimais bien aussi prospecter par moi même et aller sur le terrain, j'avais la volonté de chercher et ne pas attendre d'éventuelles réponses.

Je ne sais pas ce que je cherchais, vu ma qualification, à part gagner de l'argent et montrer que j'étais motivé.


Après quelques virées dans les différentes entreprises de la région, je me rends à l'usine ATO, elle était belle, grande, il y avait de la fumée qui sortait de partout, du bruit, des bureaux immenses, j'étais assez intimidé et arrive à rentrer pour proposer mes services ou plutôt demander un travail.

  • Vous tombez bien Monsieur, on cherche quelqu'un, on vous rappelle dans la semaine.

Trois jours plus tard, l'affaire était faite. Je remplaçais une personne en longue maladie avec un contrat d'un an.

J'étais un peu fier de ma situation et d’être arrivé au bon endroit au bon moment, embauché pour travailler en 3x8, plein de temps de libre, et le pire, je vous dis pas : un salaire mirobolant, j'allais pouvoir remonter mon arsenal à moteur.


Conducteur d'appareil dans l'industrie chimique ou CAIC, c’était le nom de mon poste qui consistait à surveiller des grosses machines qui fonctionnaient toujours sauf quand elles s’arrêtaient et alors là c'était la merde.

Pour comprendre le fonctionnement des unités de fabrication de polyéthylène, il fallait apprendre les circuits ou passaient les produits, les dessiner et repérer toutes les machines.

Je m'instruisais donc dans ce nouveau rôle avec intérêt même si j'étais très intimidé par l'énormité des structures et par les autres salariés qui maîtrisaient cela.

L'argent rentrait, plus les primes, paniers, nuits, dimanche, jours fériés, treizième mois etc..

J’investissais aussitôt dans des moyens de locomotion adaptés à mon nouveau statut, je suis quelqu'un maintenant, autant le montrer.

Je découvrais le fonctionnement d'une grosse entreprise et ma naïveté ne voyait que le superficiel qui me semblait formidable, j'ai mis des années à me rendre compte et expérimenter les différentes facettes du monde du travail.

Après une année, je changeais d'unité et intégrais la fabrication du PVC qui étais plus proche de la sortie, cela peut avoir son importance !

Intéressé par la technique, heureux de faire partie d'une équipe, j'étais plutôt compétent dans mon travail et progressais assez vite dans la hiérarchie.


Enrôlé dans le syndicalisme par souci de justice et d'égalité, j'ai mis aussi beaucoup de temps pour découvrir la pauvreté du système et ses limites.

23 ans passèrent…

La chimie ça suffit . L'alchimie n'as pas pris.

- Mais pourquoi veux tu partir ?

  • Tu as une bonne place, garde là.

  • J'en ai marre de cette bonne place qui me prend ma santé et mon sommeil.

    Il y avait quelque chose en moi qui ne voulait plus de cette vie , de cet environnement, des décisions qui n 'avaient plus aucun sens pour moi.

    J'ai donc vidé mon casier, pris mon baluchon et trouvé la porte.

    Bon là, ça paraît fastoche, mais dans la vrai vie c'est un cheminement intérieur qui renverse, bouscule les habitudes et fais toucher l'essentiel du pourquoi de l'existence.

    De l'industrie chimique au labyrinthe dans les maïs, le saut est fabuleux et le juste choix allait s'imposer naturellement.



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